Concert Tristan
Lyon, Opéra national de Lyon, dimanche 13 février 2022, 16h
Quelle joie de se retrouver dans un Opéra de Lyon plein à craquer, pour un concert exceptionnel aux allures de défi puisque le morceau de choix du menu était constitué de l’acte II de Tristan und Isolde de Wagner (la veille de la Saint Valentin, il fallait le faire…) avec deux protagonistes très attendus parce qu’inattendus, Ausriné Stundyté et Michael Spyres, et Daniele Rustioni qui abordait l’opéra wagnérien pour la première fois (mais pas pour la dernière à ce qui se dit). Le résultat fut une explosion triomphale du public, de quoi oublier masques et pass vaccinal et sanitaire, pour ne saluer que le seul qui vaille, le pass musical. …
Last but not least, Daniele Rustioni est entré ce dimanche en Wagner en prélude à un prochain autre pilier wagnérien du répertoire, et il emporte l’ensemble avec un engagement une précision, une attention aux paroles et aux chanteurs (malgré la position inconfortable qui le contraint à se retourner sans cesse vers eux). Plus qu’une révélation, c’est la confirmation d’un chef qui à notre avis a un grand avenir. Souvent les chefs italiens sont cantonnés à l’opéra d’une part, à l’opéra italien d’autre part. Il s’en suit pour certains – et très tôt, une routine qui vire à la rouille. Les opéras de répertoire des grandes scènes allemandes ou autrichiennes en sont remplis.
Il aborde Wagner, mais son Rimsky (Le Coq d’or la saison dernière) était déjà plein de couleurs, et évidemment il est excellent dans le répertoire italien (j’avais beaucoup aimé un opéra pour lequel je suis très exigeant, Simon Boccanegra à Lyon).
Ce deuxième acte de Tristan frappe par sa précision, par la netteté du geste et aussi par la manière dont l’orchestre lui répond, sans une seule scorie, avec un engagement et une concentration qui sont frappantes. Cette concentration avait déjà été perçue dans la pièce précédente, les Metamorphosen de Strauss, et le choix de mettre en regard ces deux œuvres, qui peut surprendre nous l’avons souligné, est déjà un signe de la subtilité de la composition du programme.
Daniele Rustioni en chef d’opéra veille d’abord à accompagner les chanteurs, en les soutenant, en scandant même les paroles et en veillant à ce que le texte soit clair et l’orchestre aille en rythme avec lui. Cette précision, cette volonté de laisser le texte fleurir, de le faire entendre est un signe évident de la manière dont il aborde le maître de Bayreuth. Mais cette précision et le souci de soutenir sans cesse des chanteurs qui chantent la partition pour la première fois ne suffisent pas pour un brevet de chef wagnérien.
Il y a toujours chez Rustioni un souci de dynamique qu’on retrouve ici, un sens de la respiration dramatique, une manière de mettre en relief les moments les plus tendus, mais aussi d’essayer dans les moments les plus lyriques, de fondre le plus possible orchestre et voix, ainsi de l’ambiance forcément nocturne et retenue dans « O sink hernieder,
Nacht der Liebe » . Après avoir évoqué le jour, on bascule à la nuit (comme le faisait ressentir de manière sublime Ponnelle dans sa légendaire mise en scène à Bayreuth), il y a dans l’accompagnement une délicatesse, un allègement qui mettent les voix « sur la rampe » et montrent combien le chef est vraiment attentif aux variations de couleur, et à l’univers de l’ensemble de la pièce ; l’enjeu est de toute manière pour lui aussi important. Il y a au total peu de chefs italiens qui se confrontent avec succès et avec plein engagement à Wagner dans l’histoire, rien moins que Toscanini, De Sabata et Abbado dans le passé, et aujourd’hui Gatti et Noseda. Je serai injuste de ne pas citer Muti qui en a beaucoup dirigé (un Ring, Fliegende Holländer, Parsifal) mais ce n’est pas ce qu’on retient de lui, et Riccardo Chailly n’a pas terminé le Ring qu’il avait commencé à Bologne. Que Daniele Rustioni s’y frotte en dit long sur la manière dont il veut orienter sa carrière, et qu’il s’y frotte avec cette réussite est encore plus réjouissant. Il y a là dramatisme, délicatesse, couleur, énergie, dynamisme – il pourra sans doute aller encore plus loin, notamment dans l’introduction orchestrale au duo qui fait la transition entre la première et la deuxième scène, où le crescendo pourrait être encore plus étourdissant (à la Abbado…)-. Nul doute que ce Wagner-là ne demande qu’à être approfondi et poli encore, mais tel que, il nous a confirmé quel chef il est, et comme l’orchestre de l’Opéra de Lyon sous sa baguette a progressé et travaillé, car ce qu’on mesure ici, c’est véritable le travail de tissage qu’il y a en arrière-plan.
Au total, pas d’hésitation à affirmer que ce fut un très beau moment pour l’Opéra de Lyon, rempli à ras-bord, avec un public heureux et des artistes émus. Wagner est une drogue, et nous étions tous opiomanes en ce dimanche après-midi.
Wanderer, Guy Cherqui