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L'Opéra de Lyon à Paris : Ernani ou le triomphe des méchants !

C’est devenu une habitude, et un événement attendu par tous les amateurs de bel canto, frustrés par l’inexplicable frilosité des autres salles parisiennes vis-à-vis du répertoire italien de la première moitié de l’ottocento : à chaque nouvelle saison, les forces lyonnaises investissent le Théâtre des Champs-Élysées et font entendre un jeune Verdi sous la baguette de leur chef Daniele Rustioni. Après les triomphes remportés par Attila (en 2017) et Nabucco (en 2018), c’est Ernani dont le chef italien a choisi de raviver le souvenir, et c’est une excellente idée au regard de la rareté de l’œuvre, en France comme à l’étranger.

Facile, pompier, vulgaire, simpliste, fruste : les épithètes dont on gratifie souvent le jeune Verdi sont légion. Elles ne se justifient pourtant que lorsqu’on confie ses œuvres à un chef qui ne croit pas en elles, ni ne connaît les codes esthétiques qui leur sont propres. Ce n’est assurément pas le cas de Daniele Rustioni qui défend le cinquième opéra du compositeur avec un sérieux, une énergie et une rigueur stylistique remarquables. Sous sa baguette, tel rythme qui, au plus fort du drame, prête parfois à sourire par son caractère primesautier lorsque l’œuvre est dénaturée par une direction superficielle, devient l’exacte illustration de la marche implacable du destin ; tel chœur, qu’on croyait lourd et d’une banalité redoutable, prend soudain des couleurs éclatantes et traduit au mieux la violence et le caractère farouche des bandits espagnols.

C’est que Daniele Rustioni excelle à donner aux formes a priori les plus traditionnelles la couleur dramatique exacte exigée par l’action, et n’hésite pas à jouer pleinement le jeu du romantisme, ne reculant pas devant les contrastes brutaux, la violence des déchaînements orchestraux, le caractère langoureux ou lyrique des cantilènes, sans jamais pour autant maltraiter la partition. Bien mieux : il en révèle l’essence en la respectant dans ses moindres détails, conservant (fait rarissime dans ce type de répertoire en France) l’intégralité des codas ou les reprises des cabalettes, très justement ornées avec discrétion. L’orchestre et les chœurs de l’Opéra de Lyon, en très grande forme, contribuent avec brio à raviver les couleurs de cet opéra quelque peu oublié et à l’inscrire efficacement dans cette esthétique très particulière, participant encore, dans une certaine mesure, du langage belcantiste d’un Donizetti, tout en annonçant le Verdi de la fameuse trilogie des années 1850.

Stéphane Lelièvre, Bachtrack

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